Pascal Tessaud réalisateur du film BROOKLYN en mode guérilla (Interview)
Présentation et teaser du film BROOLYN ICI
Peux tu te présenter.
PASCAL TESSAUD : Je m’appelle Pascal Tessaud, je suis réalisateur indépendant depuis plus de 10 ans, j’ai vécu presque toute ma vie en banlieue parisienne, d’un milieu ouvrier. Je viens de réaliser mon premier long métrage en mode guérilla cette année « BROOKLYN« , un film autoproduit qui met en avant l’art du Rap. Mon casting est constitué essentiellement de rappeurs spécialistes de l’impro. C’est un film qui rend hommage à la Culture Hip Hop qui m’a construit dès l’adolescence. C’est aussi une déclaration d’amour à Saint-Denis que je fréquente depuis 15 ans, j’y ai travaillé, vécu, j’y ai fait pas mal de films, rencontré beaucoup de monde extraordinaire.
Des études liées au cinéma ?
PASCAL TESSAUD : J’ai obtenu un Bac Arts Plastiques. Mes profs dès la maternelle avaient détecté mes aptitudes en dessin, j’adorais ça, les BD tout ça. Donc j’ai continué dans la même direction jusqu’au Bac. Mais je n’étais pas l’élève modèle pour ma prof de dessin, j’écoutais du rap, j’adorais le graffiti etc. Donc cette prof de dessin, très vieille France, n’a jamais cru en moi, ne m’a jamais orienté, jamais poussé. J’étais un peu livré à moi-même. A l’époque il n’y avait pas internet, donc c’était dur de se renseigner, de trouver sa voie. J’ai postulé à des écoles de design, de dessin et j’ai été recalé. J’ai donc dû abandonner mon rêve d’illustrateur, faute de perspective. Comme je ne savais pas quoi faire dans la vie, je me suis inscris à la Fac de Nanterre en Lettres, là où j’étais le moins mauvais après les Arts Plastiques, et là il y avait des options Cinéma. J’ai suivi ça et j’ai eu la chance de découvrir, grâce à des profs brillants et passionnés, un monde que je ne connaissais pas du tout : Le cinéma était un art complet. Je ne connaissais rien de rien, élevé par la télé, j’ai compris grâce à la Fac qu’il y avait de grands cinéastes comme Renoir, Murnau, Chaplin, Bergman, Kurosawa, Pasolini, Godard, Bunuel etc. Et je suis tombé totalement accro au cinéma, comme le prolongement inespéré de l’Art graphique. J’allais assidûment dans les musées et bien là je découvrais la Cinémathèque, le forum des halles et surtout le Quartier Latin. Je me suis mangé toutes les rétrospectives, les intégrales Antonioni, Fassbinder, Pasolini, Bergman, Fellini, Bresson, Welles, Cassavetes etc. Je suis devenu totalement accro à ça. Je passais ma vie dans des cinémas. L’argent de mes petits boulots passait là-dedans ! Et j’ai fait une Maîtrise sur le film de JEAN-LUC GODARD qui l’un des plus grands films de l’Histoire : « Pierrot le fou ».
Quels étaient les thèmes de tes courts métrages avant le film BROOKLYN?
PASCAL TESSAUD : Quand tu grandis dans un milieu ouvrier, tu es à des années lumières du cinéma. Quel rapport y a t-il entre toi et Orson Welles, Kurosawa ou Tarkovsky?! C’est comme un univers magique et inaccessible. Heureusement des cinéastes italiens et anglais ont su filmer le peuple, le monde prolétaire: Rossellini, Ken Loach, Scorcese, Pasolini. Et dans les années 90, j’ai découvert le cinéma de SPIKE LEE. Ça m’a beaucoup marqué. Il filmait le ghetto noir, la culture Hip Hop transpirait à chaque plan de ses films « NOLA DARLING« , « DO THE RIGHT THING« , « JUNGLE FEVER« , « MALCOM X » etc. C’était un électrochoc !!! Je me suis rendu compte que l’on pouvait faire des films dans tous les milieux. Ça m’a beaucoup influencé. Mes trois premiers courts sont tournés en banlieue parisienne et à Paris. « NOCTAMBULES« , mon premier film mettait en scène un jeune de cité blanc. En errance dans les rues de Paris, il rencontre une femme plus âgée d’origine arabe, chic, dans un bar. J’aimais bien filmer les contrastes sociaux, les décalages. J’ai continué avec « L’ETE DE NOURA » qui montre une jeune fille littéraire qui obtient son bac et qui découvre que sa mère organise à son insu un mariage au bled. Puis avec « FACIES« , je montrais l’univers du travail, où un jeune noir subit des discriminations sur son lieu de travail, un supermarché. J’ai filmé ce film dans ma cité d’enfance. J’ai compris en étudiant les plus grands cinéastes au monde que la chose la plus importante, c’était de parler de son univers personnel. De raconter de l’intérieur des choses intimes. Et comme en France, le cinéma est plutôt bourgeois, bien filmer la banlieue avec poésie et complexité, ça n’était pas fréquent. Dans les années 90, on a tous été marqué par l’explosion d’un cinéma urbain. Les banlieues arrivaient pour la première fois à l’écran: « LA HAINE » de KASSOVITZ, « ETAT DES LIEUX » de RICHET, « BYE BYE » de DRIDI, « HEXAGONE » de CHIBANE, « RAI » de GILOU, « COUR INTERDITE » de OUAHAB puis « WESH WESH » de ZAIMECHE, ce sont des films qui ont changé sensiblement le cinéma français, ça m’a beaucoup marqué.
Peux-tu nous résumer le film BROOKLYN?
PASCAL TESSAUD : BROOKLYN, c’est l’histoire de Coralie, jeune métisse vivant en Suisse, qui a comme passion le Rap. Comme elle pense avoir peu de perspective dans son pays, elle décide de partir à Paris pour tenter sa chance dans la musique. Elle va trouver un job de cuisinière dans une association musicale à Saint-Denis et va petit à petit se rapprocher du microcosme Hip Hop de Saint-Denis. On suit son parcours.
Était-ce ton 1er film/doc sur le Hip Hop ?
PASCAL TESSAUD : Mes courts métrages étaient déjà Hip hop, KHULIBAI, le beatmaker de BROOKLYN, je l’avais rencontré à Nanterre. Il avait déjà collaboré sur mes courts, « FACIES » et « LA VILLE LUMIERE« . J’ai réalisé des clips pour MILK COFFEE & SUGAR « Alien » et pour NEGGUS & KUNGOBRAM « Chants sueur et larmes ». J’ai aussi réalisé le documentaire sur le mouvement Slam en 2007 « Slam, ce qui nous brûle » et des documentaires musicaux sur Mantes-la Jolie, Saint-Denis et Marseille. « BROOKLYN« , c’est un peu l’aboutissement de 10 ans d’expérimentation de tournage dans un univers très Hip Hop. J’avais envie de me faire surtout plaisir. Je kiffe le rap depuis toujours, j’ai voulu me faire plaisir avec des acteurs que je connaissais. « BROOKLYN » c’est avant tout un gros kiff.
D’où vient l’idée du film BROOKLYN ?
PASCAL TESSAUD : En fait, je savais que mon premier long métrage se tournerait en banlieue. Je suis très sensible à la place des femmes en Banlieue et je trouvais que le cinéma français était super nul pour évoquer ça. Il y avait eu le film « Samia » de FAUCON dans les quartiers Nord, mais à part ça, le film de banlieue est un peu archétypal, c’est toujours un regard sur les mecs, jamais les filles. J’avais envie de mettre en valeur une fille qui se bat pour exister dans un environnement assez macho. Et puis moi qui aime la musique et le Hip Hop, je trouvais qu’on ne faisait quasiment jamais de films dans cet univers. On a eu 2-3 films dessus, alors qu’aux Etats Unis, ils en ont fait un paquet: « 8 mile » avec EMINEM, « Réussir ou Mourir » avec 50 CENT, « Hustle and Flow », « Notorious » etc. J’adore ce genre de films, c’est comme les films de boxe. J’ai eu envie d’explorer ce genre mais cette fois dans un ancrage, très français, très banlieusard.
Pas de financement, comment on s’organise pour pallier à ça ?
PASCAL TESSAUD : Écoute, c’est la crise ! On est dans la merde hein ! J’avais écrit un autre projet plus cher, j’ai démarché les boîtes de prod, dites indé, pendant des années, personne n’a cru en moi. J’avais fait 4 courts métrages, des centaines de festivals et aucun producteur de long n’a voulu me suivre. Au même moment, un mouvement de cinéma urbain a explosé à Paris, des films guérilla, hip hop, fait dans la rue, à l’arrache: « Donoma » de DJINN CARRENARD, « Rue des Cités » de HAKIM ZOUHANI et CARINE MAY, « African Gangster » de JEAN PASCAL ZADI, « Rengaine » de RACHID DJAIDANI. Ces films m’ont mis une grosse claque. Ils étaient dans l’esprit Hip Hop. Se dire: on ne va pas attendre un miracle, de la thune pour faire. Le Hip Hop est un art de la débrouille, il est né sans aide, dans la rue. Quand j’ai vu cette nouvelle vague de réalisateurs qui venait de la marge et qui s’éclate, je me suis dit, moi aussi je veux m’éclater, créer sans attendre l’aide du Centre. Donc j’ai claqué 10 ans d’économie, j’ai rassemblé mes troupes, des jeunes qui n’avais jamais fait de longs métrages, et j’ai crée un élan autour d’un nouveau scénario que je pouvais faire à l’arrache, sans autorisation. Le plus dur était donc de me lancer, sans producteur, sans budget conséquent et grâce à une équipe fantastique, on s’est défoncé pour réussir à boucler le tournage et tenir notre plan de travail. Mon grand ami FOUAD SASSI était le premier assistant du film, il m’a beaucoup aidé à organiser le tournage, il a fait un énorme boulot, comme tous d’ailleurs, Système D !
Comment choisit-on ses acteurs afin de représenter au mieux les idées du film ?
PASCAL TESSAUD : En fait j’ai écris le film en pensant déjà à pas mal de gens, je n’ai pas fait un casting classique, donc pour les rôles principaux, j’ai écris en pensant directement à DESPEE GONZALES pour le rôle de Diego, j’ai pensé à JALIL NACIRI en écrivant le perso de Yazid, pareil pour VERONIQUE RUGGIA, BLADE MC, LILIANE ROVERE, BABALI SHOW. Ensuite j’ai ouvert mon casting pour les rôles les plus jeunes. Helias du JHR Crew m’a beaucoup aidé, j’ai fait faire des essais et j’ai choisi de jeunes talents du 93 et des environs: Rafal, Inaya, Houaby, Akram, Zirko mais aussi, Eyes, Sarah Guem, Bouzid.
Le souci a été de trouver le rôle principal Brooklyn. Là j’ai mis beaucoup plus de temps pour trouver. J’ai cherché pendant 6 mois, j’allais à des concerts, matais sur youtube, faisais faire des essais à plein de rappeuses, mais je ne trouvais pas la perle rare. Finalement je suis tombé par hasard sur la rappeuse KT GORIQUE à une compet End of th Weak sur youtube. Elle est devenue championne du monde End of The Weak à New York en 2012, et elle m’a beaucoup impressionné. Un gros talent. Je l’ai contacté et je suis allé en Suisse pour lui faire faire des essais en impro avec un comédien. Et là j’ai flashé sur elle, c’était Brooklyn !
Pas de dialogue écrits, comment faisaient les acteurs ?
PASCAL TESSAUD : La plupart ne sont pas acteurs, n’ont jamais joué dans un film. Mais la plupart sont d’excellents improvisateurs en Rap. De gros freestylers. C’est un état d’esprit où le culot et l’art de l’instant priment. Du coup mentalement ils étaient prêts pour se lancer dans cette folie. Tout le film est improvisé, mais c’est une improvisation guidée. Je donnais les directives, les obstacles, les objectives à atteindre. Je les guidais, parlais pendant les scènes, je donnais des mots clés ou des phrases qu’ils répétaient à la volée, du coup l’impro était cadrée et on faisait pas mal de prises, des variations. On cherchait ensemble des pistes, prenaient des risques pour atteindre une certaine liberté et une authenticité. On était tous dans un état de création à chaque seconde !
Comment ont-ils vécu le film ?
PASCAL TESSAUD : Déjà en amont, j’ai organisé pendant un mois un Work shop au CAFE CULTUREL de Cristina Lopes (big up !) et là je leur ai appris à toutes et à tous, le B.A BA du jeu, la concentration, la respiration, les objectifs, l’imaginaire, l’impro. C’était hyper jouissif de les voir progresser, prendre du plaisir. Après le tournage a eu lieu en plein mois de Ramadan. Ce n’était pas évident pour certains, il faisait super chaud en plus. Certains travaillaient en plus comme Rafal. Le tournage a duré super longtemps, c’était un marathon. Ceux qui n’avaient qu’un jour ou deux étaient surexcités. Pour KT GORIQUE ça a été plus dur même si on la mettait à l’aise. Elle était super chouchoutée. Tout le film reposait sur ses épaules, elle avait la pression. L’originalité du film est que c’était tout en impro, ce qui laissait beaucoup de liberté dans le jeu. Ils n’auraient pas réussi à le faire s’il avait fallu apprendre par coeur tous les dialogues. KT GORIQUE a écrit les textes qu’elle rappe dans le film. C’est la première fois qu’ils travaillaient aussi intensément sur un projet artistique. Ça n’aurait servi à rien de se lancer dans ce projet, s’il n’y avait aucune exigence, juste pour délirer. Je les ai poussé dans leur retranchement, pour aller chercher le meilleur d’eux-mêmes. Ils ont été très surpris lorsqu’ils ont vu le résultat. Ça ressemble vraiment à un vrai film professionnel, et ça c’est du à leur courage, leur talent et leur investissement. Je les trouve tous fantastiques dans le film. Ce n’est pas arrivé tout seul, on a beaucoup beaucoup taffé pour ça.
Comment toi tu as vécu le film ?
PASCAL TESSAUD : Et bien, c’est vraiment une expérience contrastée, très intense. A la fois artistiquement, c’est extrêmement jouissif, tu fais un film pirate où tu demandes aucune autorisation pour faire ce que tu fais, donc c’est le film le plus libre et le plus créatif de ma vie, avec en permanence des moments de grâce avec Rafal KT, Jalil, Liliane, Despee Gonzales. Et à la fois c’est hyper stressant car tu ne peux pas te reposer sur un producteur, tu dois tout gérer l’orga, les décors, les costumes, contacter des mecs en plein tournage pour les scènes suivantes, faire des repérages, tout bouge, tout est fragile, tu dors peu, c’est hyper stressant. Heureusement j’avais une équipe de choc pour m’aider : Fouad 1er assistant, Laurie Pezeron Directrice de prod, Thierry Jaulin à la Déco, Fabien Rodesch, Sebastien Bages, Aliou Dillo à l’image, Alexandre Abrard au son, les soeurs Pezeron à la Régie etc. On avait vraiment une super équipe, et c’est grâce à toutes et à tous qu’on a réussi ce film. Le cinéma, c’est vraiment un Art du collectif par excellence.
Quel est le retour des personnes qui on vu le film ?
PASCAL TESSAUD : Et bien écoute, c’est assez magique, ce qu’il se passe sur ce film, déjà les acteurs et les techniciens ont découvert le film au Festival de Cannes à l’Acid où le film BROOKLYN a été sélectionné parmi 400 films inscrits, ils en ont pris 9 ! Donc c’était vraiment électrique. Une trentaine de personnes de l’équipe sont descendues de Suisse et de Paris, c’était incroyable. On a eu un retour incroyable à Cannes, les gens kiffent le film. C’est magique. Et les projos à Saint-Denis et en banlieue parisienne étaient énormes. Il y a un bel engouement, les gens sont surpris de la qualité du film vu qu’on l’a fait sans moyen! Ce qui fait plaisir c’est que les professionnels du cinéma, comme la communauté Hip Hop aiment le film, ce qui était mon challenge de départ. Que ça soit un vrai film du microcosme du rap, mais que l’histoire de Coralie touche l’universel. C’était l’enjeu de mon scénario. Réussir à créer une passerelle entre le monde du Rap et le monde du cinéma.
Est ce que tu arrives à le faire diffuser ?
PASCAL TESSAUD : La sélection cannoise a été le détonateur. Grâce à cela, on a été sollicité, et le film fait actuellement le circuit des festivals à l’étranger. Il a été projeté à Rio, Amsterdam, New York, Milan, Tubingen et Stuttgart, Tanger, Bucarest, Cologne, Tallinn, Trinidad, Cuba etc. C’est assez incroyable qu’un aussi petit film puisse intéresser autant de gens à l’étranger !
Quelles sont les prochaines dates de diffusion et où ?
PASCAL TESSAUD : On continue à faire circuler le film en festival. Il est projeté en France aussi, il faut suivre l’actu du film sur la page Facebook: BROOKLYN le film. On y met les infos sur les séances, les dates à venir et on espère pouvoir le sortir en salle en Avril 2015 avec le distributeur UFO. BROOKLYN sera au festival Ciné Junior du Val de Marne et au Festival HIPOP Session de Nantes.
Un ou plusieurs films en tête pour le futur ou tu te concentres sur le film Brooklyn pour le moment ?
PASCAL TESSAUD : Pour le moment je me consacre à plein temps à BROOKLYN pour qu’il ait une chance d’exister. C’est 2 ans de travail plein. Lorsque le film sera sorti en salle, je vais faire des débats qui vont me prendre encore beaucoup d’énergie ! Je planche déjà sur des scénarios de différents projets. Tourner BROOKLYN a été pour moi une révélation. Même si c’est dur de faire des films guérilla, c’est un moment de jouissance absolue, de créativité. Je suis vraiment accro à cette drogue dure ! J’ai envie de repartir au charbon. J’espère que BROOKLYN trouvera son public.
Quelque chose à rajouter ?
PASCAL TESSAUD : Pour finaliser la copie définitive du film et régulariser le film aux yeux du CNC, je dois trouver des financements alternatifs. Donc à partir de janvier on va lancer une campagne de Crowfunding sur le site Kiss Kiss bank bank pour atteindre nos objectifs. Pour sortir le film de la clandestinité, nous allons demander aux amis, à la communauté hip hop et aux passionnés de cinéma de nous soutenir pendant trois mois. La campagne va nous permettre de demander un soutien financier de 20 000 euros, les contributeurs auront en échange des contreparties. Nous avons besoin de votre aide pour que notre film autoproduit existe enfin un jour sur les écrans de cinéma!
Le cinéma 100% indépendant a besoin de vous !!!
Page Facebook de CULTURES URBAINES .FR : https://www.facebook.com/culturesurbainesfr